My Absolute Darling

My Absolute Darling

De Gabriel Tallent

Éditions Gallmeister, 465 pages,

Publié en 2017, traduit en 2018

 

« Parfois, la force n’est pas la même chose que le courage. Parfois, partir n’est pas la seule façon de s’échapper. Parfois, survivre n’est pas suffisant. »

Elle, c’est Julia, Julia Alveston, enfin non, Turtle Alveston, c’est ainsi qu’on la surnomme, c’est ainsi qu’elle veut qu’on l’appelle. Son père, lui, l’appelle parfois Croquette.

Turtle, 14 ans, manie les armes comme d’autres ados surfent sur des téléphones ou des tablettes. Elle aime que la sienne, un Sig Sauer soit propre et en parfait état de fonctionnement. Elle le démonte et le remonte régulièrement, avec maîtrise, pour le nettoyer. Turtle connaît les armes donc, et les arbres, les plantes, les rochers où il fait bon marcher et pêcher à main nue, les piscines naturelles où les pieds s’enfoncent dans la vase, les chemins de traverse, les forêts, les bois, les insectes, les oiseaux… Turtle marche pieds nus, ne craint aucun terrain. Elle sait allumer un feu sans allumette ni briquet, construire un abri de fortune quand le ciel vire à l’orage…

Turtle, c’est comme un kit de survie sur pieds. Une gamine à la fois farouche et créative.

Elle est libre, Turtle ?

Non, en fait, elle ne l’est pas du tout.

Elle est sous une terrible emprise, la plus terrible qui soit, où l’amour s’en mêle, s’emmêle, et brouille les esprits. Julia-Turtle-Croquette vit sous le joug de son père, une sorte de hippie fumeur de joints, buveur de bière, lettré, un brin philosophe, et carrément démerdard, sans emploi et en marge de la société. Il élève sa fille à la dure, n’a de cesse de la mettre à l’épreuve, l’insultant à tout va (connasse, poufiasse, petite pute…). Sans cesser, pourtant, de lui déclarer son amour. Un amour particulier puisque, régulièrement, le soir, il va la chercher dans sa chambre pour la mettre dans son lit. Martin, Marty, est un père brutal, dévastateur, abusif, manipulateur, mais charismatique. Et Turtle l’aime. Elle l’aime comme une fille aime son père, et elle lui pardonne tout, excuse tout, croit tout ce qu’il lui dit. Ou presque. Parce qu’elle grandit, Turtle, et elle se pose des questions.

Turtle a 14 ans donc, quand commence le roman. De ce duo vénéneux, elle ne peut pas s’extraire. Pas seule. L’attention d’une prof qu’elle déteste mais qui ne la déteste pas. Un jeune homme fasciné par la jeune fille, par sa connaissance ‘de terrain’, sa puissance (puissance qu’elle-même semble ignorer), son caractère et son tempérament. Une enfant de 10 ans, Cayenne, ramenée on ne sait ni comment ni d’où par Martin, une gamine désorientée, malmenée par la vie aussi. Autant de rencontres pour une autre voie, un autre amour.

Turtle ne pourra se défaire de l’emprise de son père que d’une seule façon, une seule et terrible façon. Elle paiera cher le prix pour sauver son âme et trouver un chemin vers la dignité. L’enfant brisée par le poids du père – et mise à mal par le système scolaire parviendra-t-elle à mettre des couleurs dans sa vie, à faire pousser de belles et bonnes choses au potager de son coeur, et à enfin se trouver, ou se retrouver…?

 

Il y a dans ce roman comme un peu du Wisconsin de Mary Relindes Ellis, de Délivrance (film de John Boorman, tiré du roman de James Dickey), et quelque chose de Tarantino…

 

La Mémoire des Embruns

La Mémoire des Embruns, roman de Karen Viggers

17421 km, c’est la distance qui sépare la ville où j’habite de l’Île de Bruny, en Tasmanie. 17421 km que j’ai parcourus régulièrement ces derniers jours, en quatre parties, 39 chapitres, et 570 pages.

Je n’avais pas lu si gros roman depuis un moment, me suis lancée dans la lecture au hasard d’une pioche dans ma bibliothèque, me suis vite demandé si c’était judicieux d’entamer autant de pages en un moment aussi trouble que celui du confinement et de son déconfinement associé, mais le mal était fait, j’avais commencé à lire l’ouvrage. Et quand je commence un livre, soit je le termine, soit je l’abandonne définitivement. Si je l’abandonne, c’est que le livre me barbe, mais c’est rare. Car même s’il me barbe, j’aime bien en être sure sure sure, et je ne le sais qu’en allant jusqu’au bout.

Il n’y avait aucune raison que j’abandonne celui-ci.

Je ne saurais dire si ‘La Mémoire des Embruns’ est un grand ou un bon roman. Je n’ai jamais su estimer cela, ou peut-être ne me le suis-je jamais permis, tant cette notion est subjective. Mais je sais que je m’y suis glissée, jour après jour, timidement au début, et puis avec une impatience grandissant au fil du temps. Si l’intrigue est assez ‘convenue’ et sans grande surprise, le déroulement des événements, la narration, le déploiement des personnages… tout cela embarque au loin.

 

Départ pour la Tasmanie donc, et je ne sais même pas où c’est, enfin pas vraiment. Je sais qu’elle est proche de l’Australie, mais je la situe plutôt au nord de ce pays, alors qu’elle est au sud.

J’ai voyagé.

J’ai voyagé sur cette île triangulaire, ou plutôt cet ensemble d’îles. J’ai voyagé sur les sentiers escarpés, sur les plages, sur les falaises, dans les bourrasques de vent, le vacarme des lames s’écrasant sur les rochers, le clapotis de l’eau calme…

J’ai voyagé plus au sud encore, dans les 50ème hurlants, et puis dans le grand blanc de l’Antarctique, de la banquise, dans le bleu et le rose des glaciers, dans l’hiver austral et sa nuit qui n’en finit pas.

J’ai voyagé dans des tempêtes intérieures, dans les émotions et les sentiments des personnages, plus vrais que nature, forts et fragiles à la fois, intrépides et téméraires, renfrognés et ouverts. Dans La Mémoire des Embruns, il n’y a pas de héros. Chacun porte ses fractures et fait avec ses failles.

L’ensemble fut une belle exploration et une belle traversée. Et un chemin de découvertes, nées de recherches, du désir d’en savoir plus. C’est où ? (la Tasmanie donc, Bruny, Hobart, le Parc National du Freycinet…) C’est comment les puffins ?

Un puffin. Je crois que nous les appelons des Macareux (photo Wikipédia)

Il y a des livres que l’on referme un peu comme on les a ouverts, sans bruit, sans laisser de traces. Et d’autres que l’on peine à quitter, des personnages auxquels on s’attache, alors l’envie de prolonger le plaisir se manifeste.

C’est pourquoi j’ai ici écrit le mien…

Bonne lecture !