Après le paradis…

 

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On avait mis ma liberté en cage, moi qui avais couru sur les traces des antilopes, à travers la savane. J’étais devenu le plus rapide, je devais succéder au chasseur du village. À moi seul je nourrissais tant de ventres, l’enfant chétif devenu homme était enfin utile à ceux qu’il aimait, à ceux qui l’aimaient.

Quand Nameh posait sur moi ses grands yeux de faon, mon cœur s’accélérait comme pendant la chasse. Depuis que nous étions enfants, depuis nos courses folles et nos jeux innocents, nous savions que, un jour, nous serions unis comme s’unissent les grands. Elle était belle, douce, et gaie, sa peau et ses cheveux absorbaient les parfums des fleurs que je lui cueillais parfois. Elle et moi, nous étions heureux, promis à un avenir radieux …

Et puis ils sont arrivés, dans leurs bateaux géants, coiffés de voiles blanches, blanches comme l’écume à la commissure des lèvres lorsque le cœur s’arrête, lorsque le serpent a mordu. Blanches les voiles, de la couleur de la mort.

Ils ont mis le feu au village, après avoir volé nos pierres de couleurs glanées dans les sillons de notre terre. Les enfants ont hurlé sous les coups de leurs armes, les femmes ont pleuré toutes les larmes de leur corps, larmes mêlées de sang. Ces hommes, ces sauvages, ont enlevé les plus jeunes et les plus jolies d’entre elles, pour les emmener vers des destins de poussières. Nameh était la plus belle …

Alors j’ai connu les chaînes, les coups, le mépris et la haine. Sur leur bateau de crasse, j’ai vécu les pires outrages, le cœur fendu en deux comme les troncs de ces arbres qui alimentaient notre feu, le feu des temps heureux. J’ai fait un long voyage, par des vents détestables, des mers en colère, le vomir à la bouche, le goût du sang aussi. Nos dieux se rebellaient. En vain. J’ai vu mourir des frères, affamés, malades, les yeux révulsés, pauvres diables devenus inutiles, qui ne connurent de sépultures que la gueule des requins. J’ai appris le langage de mes bourreaux, un peu, les mots de l’humiliation, de la dégradation, le mode impératif du présent incertain et de l’avenir imparfait.

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On m’a débarqué enfin, sur une terre de grisaille, de pluie et d’ordures. J’ai fait les beaux jours de quelques scientifiques dont la mission majeure était de déterminer si, oui ou non, j’étais un homme, un humain. Puis on m’a baladé, de salon en salon, où j’ai fait rire les dames, rire jaune teinté de peur. « Quelle étrange créature ! » Ma différence devenue mon malheur.

Quand l’affaire fut réglée, mi-homme, mi-singe, ont-ils décrété, on m’a vendu à un cirque. De village en village, on m’a emmené. ‘Venez donc voir l’homme singe, la bête humaine’, c’est ainsi que l’on me présentait. Entre deux spectacles, aux basses besognes j’étais affecté, chaînes aux pieds, fouet au corps si mon ardeur faiblissait. Ma peau, de plaies vêtue, ressemblait de plus en plus à l’écorce d’un arbre meurtri ou à une terre sèche, oubliée de la pluie.

***

Mes rêves se sont éteints, privés de liberté, et ma vie, diluée dans l’amertume, m’abandonne. Plus la force de me battre, l’espoir au bord du vide, les oreilles écrasées d’insultes et de moqueries, les yeux brûlés d’humiliations, de leurs visages hilares, de leurs bouches ricanantes. Ma vie s’épuise, petite flamme soufflée par le vent de l’oubli. Je finirai aux chiens …

Nameh, Ô Nameh, où es-tu ma gazelle, ma tendre, mon aimée …

 

 

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Dis-moi, sais-tu que je t’aime, toit ?

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 Lorsque le jour tombe la veste et s’enrobe petit à petit de son manteau de lune, je scrute.

Je scrute la ligne de toi, la ligne de toits, pour des verticales et horizontales qui se croisent et découpent la nuit. A-plats de blanc, noir, gris, reliefs qui s’écrasent, perspectives diminuées, la troisième dimension est partie se coucher, il en reste deux qui sont de garde et font des rondes.

Les chats aussi font des rondes, ou tiennent de grands conciliabules sur les pentes et murets. Il faut que les ombres se tiennent à carreau, que chaque étoile reste suspendue à sa place, que rien ne sombre…

Pendant ce temps, le jour se repose, reprend des forces afin d’être en forme pour, dès le matin d’après, soulever par dessus les mêmes toits un nouveau soleil…

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Puis la Terre ne suffît plus…


Ils avaient repoussé la notion de ‘Frontière’, pris possession de l’univers, une autre mondialisation.

Tout s’achetait, tout se vendait, comme avant mais plus encore. On spéculait sur les planètes, les étoiles, et même les trous noirs, le cosmos à portée de bourse, mais la fleur de cosmos, elle, avait disparu. Les monnaies avaient changé, seul le star-dollar et l’All-yen circulaient, circulaient mal, sur ce point, rien n’avait changé.

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Deux mondes s’opposaient, donc, deux mondes seulement, c’était tout ce qui restait. Chacun occupait un hémisphère, ils avaient tout colonisé, troposphère, stratosphère, mésosphère, thermosphère, exosphère, ionosphère et magnétosphère, toute l’atmosphère y était passée.

On était devenu ‘pro’ ou ‘counter’, alternativement, selon la bouche qui parlait, ‘pro’-‘counter’ ou ‘counter’- ‘pro’, ça dépendait.

Le pouvoir se transmettait par élection à un seul bulletin détenu par un seul grand électeur, le président en place. S’il n’était pas conservé, ce bulletin faisait l’objet de tractations sévères, il était vendu au plus offrant.

Sur un hémisphère ou l’autre, on filait droit, on filait doux, parce que les travaux forcés étaient devenus la sentence. Le commun des mortels n’était plus chair à canon mais chair à fusée, à navette spatiale, à catapultage de l’extrême.

Un pas sur le coté et on vous condamnait à l’exploration du monde élargi, cobaye pour Mars ou pour Mercure, Vénus ne chantait plus l’amour, plus personne ne chantait d’ailleurs. Evidemment, de ces régions inhospitalières, personne ne revenait vivant.

Ce que l’on appelait alors ‘sondage’ n’avait plus rien à voir avec une enquête d’opinion, non, nous n’étions d’ailleurs plus autorisés à avoir une opinion. Un sondage permettait de sonder une surface inexplorée, et encore inexploitée parce qu’inexploitable, pour en vérifier les caractéristiques. On envoyait alors des condamnés à mort sur la planète à sonder, ils revenaient, morts bien sûr, et chargés de plein de matières aussi. Ils étaient alors examinés sous toutes les coutures …

Certains pauvres bougres se trouvaient éjectés hors de leur trajectoire programmée, et venaient s’écraser près de nous, éclaboussant l’alentour d’autant de larmes de sang. La pourriture enflait, la puanteur aussi, l’air était devenait irrespirable. Pourtant on respirait encore, allez savoir comment, allez savoir ce qu’étaient devenus nos poumons …

De notre corps, nous ne savions plus rien. La procréation n’était plus qu’assistée. Nous naissions bébés éprouvettes et n’éprouvions plus rien. Les mots ‘père’, ‘mère’, avaient le même statut que le mot ‘dinosaure’, ils nous parlaient de préhistoire … ‘Tendresse’, ‘Amour’, étaient devenus des jeux, des jeux où l’on gagnait des jetons, et pour en gagner il fallait tuer le plus d’adversaires possibles.

A notre naissance, à notre sortie du tube donc, on nous recouvrait d’une seconde peau, électronique, à température constante de 15 degrés, truffée de capteurs qui disaient tout de nous, variations de température interne, émotions, besoins élémentaires, tout était transmis à des ordinateurs centraux. Ainsi, lorsque la maladie nous atteignait et s’avérait incurable, on venait nous chercher pour rejoindre les chaudières gigantesques qui alimentaient les villes en énergie. Ainsi, par la mort nous transmettions de l’énergie aux encore vivants.

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***

 Quand un morceau de météorite frappa FG-336-89-8-0, elle s’effondra et sa peau électronique se trouva déchirée par un angle saillant. Son torse était nu.

 

Je m’approchais d’elle, pour tenter de la secourir. Le quartier général m’ordonnait, dans mon oreillette, de la laisser au sol, elle était fichue, me disait-on, on allait venir la chercher pour l’emmener aux fourneaux. Elle était belle, j’avais déjà repéré la finesse de son visage lors de travaux effectués ensemble. Par la déchirure de son e.peau, je perçus la blancheur et la finesse de sa peau naturelle. Je ressentis alors une chaleur étrange à l’intérieur de mon être. Je m’enhardis à passer une main, doucement, entre les deux peaux. La sienne était douce, et je fus surpris de constater qu’elle était chaude. Sous la caresse de ma main, elle palpitait …

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Dans le port d’Amsterdam, y’a des… tulipes !

 

Marché aux fleurs d’Amsterdam.

Deux paquets de bulbes achetés

Un  paquet de tulipes multicolores, 

et un paquet de tulipes flammées multicolores aussi.

Plantation en septembre,

religieusement,

bulbe après bulbe,

floraison au printemps…

Surprise, elles sont toutes rouges !

Belles, certes, mais rouges !

Disons… multicolores rouges ! 

 

Dead Man, un film de Jim Jarmush

DEAD MAN

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L’affiche

Dès les toutes premières secondes du film, le ton et la couleur sont donnés. ‘Dead Man’ est un film qui nous emmène en voyage. Voyage en terre étrangère, inconnue, au départ de la région des Grands Lacs jusqu’à ce qui deviendra la Californie, mais n’est encore qu’une terre à fouiller pour y trouver de l’or. Un voyage en surface, sur la première ligne transcontinentale qui traverse les états-Unis, et un voyage vertical jusqu’aux profondeurs crasses de l’humanité, là où réside la bête que l’homme nourrit encore. Une descente dans les noirceurs de l’enfer.

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Bill Blake 

Bill – diminutif de William, Blake a quitté Cleveland, après avoir perdu ses parents, décédés, et sa fiancée ‘qui a d’autres projets’, pour aller occuper un emploi de comptable dans la petite ville de Machine, non loin de San Diego. Jeune homme naïf, quelque peu coincé, tiré à quatre épingles – costume à carreaux, chapeau citadin, lunettes, il expérimente une traversée pendant laquelle le paysage se transforme à l’intérieur même du train. Le changement de décor se fait dans un changement de corps. Au fur et à mesure que le train s’enfonce vers l’Amérique sauvage et rude, les passagers du train eux-mêmes deviennent plus sauvages et plus rudes. Cette première scène, avant même le générique, est d’une ingéniosité remarquable.

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 Un train d’enfer…

 Du noir et blanc, un parti pris comme pour accentuer la différence entre deux mondes, et pour laisser à chacun le choix de mettre ses propres couleurs sur ce qui oscille entre rêve et cauchemar.

Les choses tournent mal dès l’arrivée. Le poste de comptable chez Dickinson est déjà occupé, et Bill Blake est rudoyé par le patron et par les employés. Complètement désargenté, il se retrouve à passer la nuit chez une jeune femme, ex-prostituée qui fabrique et vend, à présent, des fleurs en papier. Son ancien amant fait irruption, s’ensuit une scène violente qui se conclura par deux coups de feu. La première balle tue la jeune femme et vient finir sa course dans le torse de Bill, la seconde, tirée par Bill, tue l’amant. C’est sur le cheval de ce dernier que Bill prend la fuite. Un malheur n’arrivant jamais seul, il se trouve que l’amant est aussi le plus jeune fils de Dickinson.

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Dickinson, sans foi ni loi…

Commence alors une impitoyable chasse à l’homme où tous les moyens sont mis en œuvre, chasseurs de têtes, marshals, affiches placardées partout, pour assouvir la vengeance du père, homme de pouvoir sur une terre qui ne reconnaît pas la loi.

Le chemin de Nobody, un indien de sang mêlé, croise celui de William/Bill. Nobody, Xebeche de son nom indien, a été rejeté par sa tribu après avoir été kidnappé par des ‘cons de blancs’, comme il les appelle, pour être exhibé dans sa différence, sur le continent, puis de l’autre coté de l’océan, en Angleterre. Pour que l’on s’intéresse moins à lui, il décida d’adopter le mode de vie des blancs, il apprit à lire, découvrit et aima la poésie de William Blake, le grand poète anglais de la fin du 18è siècle, et du début du 19è. Peine perdue, il attisa ainsi la curiosité. Il parvint à s’enfuir, retraversa l’océan, mais ne trouva plus sa place auprès des siens, devenu pour eux aussi, un être trop différent. Il adopta alors le surnom de Nobody (Personne).

William Blake, peintre et poète anglais, évocateur de voyages initiatiques avec ses ‘Chants de l’innocence’ et ‘Chants de l’expérience’, et William Blake, héros malheureux d’une aventure qu’il n’a pas choisie, l’homonymie scelle le destin de Nobody, qui croit avoir rencontré le poète réincarné, et du pauvre hère traqué.

NOBODY ET BILL DEAD MAN

Nobody

Deux êtres rejetés par leur communauté respective, deux solitudes associées. Ensemble, ils s’aventurent dans une traversée spirituelle des territoires sauvages où les rencontres connaissent une fin sauvage elle aussi. « L’arme remplace ta langue, apprends à parler par elle et ta poésie sera dorénavant écrite avec du sang ». William Bill Blake abandonne la langue de Shakespeare pour s’exprimer dans celle que lui enseigne Nobody, la seule qui vaille dans ce qui fut une terre indienne avant d’être colonisée par ces ‘cons de blancs’. Nobody accompagnera Bill jusqu’à son dernier voyage, en partance pour « le deuxième étage du monde », « là où le ciel rencontre la mer ». Ensemble ils traverseront « le miroir de l’eau », chacun à sa manière.

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 Dernier voyage pour Bill

 Sorti en 1995, ce film de Jim Jarmush est magnifiquement servi par une distribution exceptionnelle, Johnny Depp, Gary Farmer, John Hurt, Iggy Pop, Robert Mitchum (dont ce sera la dernière apparition à l’écran), entre autres, et la bande son, magistrale, est orchestrée par Neil Young. « Dead Man », un voyage onirique, au cours duquel des vers du poète William Blake sont distillés, un film d’une poésie noire mais belle, à voir, ou à revoir…

BANDE ANNONCE

Dialogue de sourds…

Il croyait que c’était acquis !

Acquis ? Mais acquis à qui ?

Ben, à lui puisque c’est lui qui l’a dit.

Qu’a dit quoi ?

Ben, ça, ces mots maudits.

Ah bon ! Mais dis-moi, qu’est-ce que Momo vient faire là-dedans ?

Je ne t’ai pas parlé de Momo !!

Si, si, t’as dit ‘Momo dit’

Non, j’ai dit ‘mots maudits’, comme j’aurais pu dire ‘maudits mots’,

Oui mais n’empêche, c’est pas c’que t’as dit.

Sur le quai…

Elle était sur le quai, un bouquet à la main,

Comme tous les matins.

Elle regardait les wagons déverser les vies dont ils s’étaient animés,

Des trains de vie par wagons entiers…

Elle se tenait un peu en retrait, habitée d’une sorte d’impatience et d’espoir mêlés…

Elle le reconnaitrait, elle le savait.

Ce serait comme une évidence, il y aurait comme un signe.

La scène, comme la vie, se déroulait en noir et blanc.

Un flot de silhouettes anonymes s’écoulait devant elle, dans des murmures mornes, comme une rivière trop froide, trop sale, comme un hiver qui s’étire…

Soudain, elle l’aperçut. Chapeau bleu noyé dans cette marée humaine, c’était lui ! C’était ça, le signe, c’était la couleur !

Alors elle tenta d’attirer son attention. Elle agitait les bras, suppliait ‘s’il vous plait’, mais il ne l’entendait pas, ne la remarquait pas et la marée creusait son passage, entrainant l’homme dans la puissance de son mouvement.

Elle concentra tous ses espoirs en une force vive, et cela sembla fonctionner, enfin il se retourna…

Alors elle le vit…

Sous le chapeau bleu, un visage en noir et blanc, comme les autres, sans expression, vide.

Et des yeux résignés, sans joie, sans étoiles qui brillent.

Et soudain le chapeau perdit de ses couleurs, le bleu devint gris, puis noir, puis rien…

Une illusion d’optique, l’expression de son désir lui avait joué des tours, elle avait cru découvrir l’amour, mais elle s’était trompée.

 

Les bras lui en tombèrent, le bouquet de fleurs aussi. Elle s’était visiblement trompée de jour ou d’heure, de quai, de voie… Elle reviendrait demain, ou bien une autre fois…

 

Elle ramassa son bouquet, et alla le déposer sur la tombe du soldat inconnu…

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Petit Crob’Art en patchwork…

 

Aujourd’hui c’est mon anniversaire, 

alors j’avais envie de vous offrir, 

ce bouquet de crob’Arts

des zoziaux bizarres, 

des engins aussi, 

et de la couleur… 

***

Ils ne sont pas de moi, les dessins posés dans cette rubrique-là.

Ils sont de Thierry B.

Crobards spontanés,

Dessins automatiques,

Je les aime beaucoup,

Et j’ai envie de les partager…

 

Thingamabob : broche en polymère

Parfois je fais des trucs, des bidules, des machins avec mes mains…

Ceci est ma deuxième broche en pâte polymère. Je l’ai faite il y a très longtemps déjà.  La première broche, je l’ai perdue au magasin ‘Le Bon Marché’, à Paris, il y a encore plus longtemps. Si vous l’avez retrouvée, merci de me contacter… :)

J’ai d’abord fait un patron, je veux dire un modèle, pas un boss, vu que c’est moi qui bosse dans ces cas-là.

Puis je me suis amusée. Des rondelles de métal,  des morceaux de chainette, des paillettes, de la nacre, des cabochons de verre et, comme pièce centrale, un cabochon d’hématite.

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Je ne la mets jamais…. :)

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J’habite un port…

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J’habite un port…

Un port, c’est des fragments du monde entier en visite à domicile, des cargos de tout pavillon, lettres rouille crasse, dégoulinantes sur les coques délavées. C’est des containers, boites de métal de toutes les couleurs pleines de trésors multicolores, Made in Ailleurs. C’est des bassins, des quais, des écluses, des ponts tournants ou à bascule, des grues et des portiques, des camions qui font la nique aux voitures plus vulnérables. C’est un lieu qui grouille, fourmille, s’agite au rythme des départs et des arrivées. Ça caresse les narines, ça sent l’huile et le métal, la graisse et la rouille, les gaz d’échappement et les embruns. Ça pue, oui, mais d’une puanteur noble.

Avant, c’était un port ouvert, on y circulait à découvert, on voyageait de navire en navire. Et puis, le temps a déroulé son chapelet de mesures sécuritaires. Aujourd’hui, il faut montrer patte blanche, être autorisé à y circuler. J’y travaille de temps en temps, et j’y ai donc mes entrées. Badges pour barrières qui se lèvent, salutations des gardiens en uniformes, l’affaire est sérieuse… Je joue le jeu, je me prête aux rituels avec le sourire. À vrai dire je me sens un peu privilégiée. Qu’importe les formalités obligatoires, elles n’entravent pas les rêveries entre les quais, l’émerveillement devant le soleil levant qui découpe les coques monstrueuses et reflète le ciel à la surface des bassins.

Dans le dédale des voies de circulation, la route débouche parfois face à un quai où est amarré un géant d’acier. Et j’imagine que les portes des cales vont s’ouvrir, comme sur un ferry, pour me laisser embarquer vers une longue traversée. « Tanzania » c’est écrit, Tanzanie, oui … pourquoi pas ….

J’habite un port et j’aime ça….

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Petit Crob’Art : des cocottes et de drôles d’outils…

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Y’a des cocottes, des roues et des hélices,

de drôles d’engins, des trucs qui coupent, 

des trucs qui piquent… 

***

Ils ne sont pas de moi, les dessins posés dans cette rubrique-là.

Ils sont de Thierry B.

Crobards spontanés,

Dessins automatiques,

Je les aime beaucoup,

Et j’ai envie de les partager…

« Du Frog and Roll au Rock and Roll, la véritable histoire »

Au XVIIIè siècle, Jean-Baptiste Grenouille dépeçait les jeunes filles

pour créer ‘Le Parfum’.

Au XXè siècle, Jean-Baptiste Parfum dépeçait les grenouilles

pour étoiler son restaurant.

Il relança ainsi la consommation des cuisses de batraciens.

Le quotidien des Rainettes et autres amphibiens s’en trouva très affecté,

plus aucun endroit sûr pour se cacher.

La vie de rêve, c’était ‘avant’.

Avant que cela ne tourne au cauchemar…

Il fallut envisager le départ, vers des cieux plus cléments.

Vers d’autres mares …

Partir, oui, mais où ?

La perfide Albion pouvait être une alliée.

Là-bas, nul n’aurait songé à déguster ce genre de victuailles …

Angleterre, terre d’accueil idéale.

De coassement en coassement « à l’aide »,

l’écho s’échoua sur les côtes d’outre-manche.

Il ne tarda pas à trouver une réponse, ça n’était pas le 18 juin,

mais, partout au pays du Général de Gaulle,

on entendit l’appel qui rugissait au loin,

‘L’appel de Londres’.

Londong Calling, The Clash

Londres ? Oui, avec plaisir, mais comment faire ?

Quelques crapauds hardis avaient déjà tenté,

sur radeaux nénuphars,

l’immense traversée.

Nénuphars renversés par le vent du large,

ou bien grillés par le sel marin, crapauds itou.

Des héros, certes, mais des héros morts prématurément.

Comment faire pour traverser la Manche ?

Une idée folle, petit à petit, pénétra les esprits.

Trop dangereux par voie de mer, il fallait creuser un tunnel.

Quelques crapauds buffles furent enrôlés de force,

forces de la nature pour faire la sale besogne.

Le chantier démarra sous la direction d’un batracientifique.

Une armée de grenouilles fut chargée de ramener

nombre de pierres qui roulent.

Crapauds buffles harnachés s’allèrent sans conviction,

faire avancer ces pierres, de rebonds en rebonds.

La tâche était pénible, les privations nombreuses.

Bientôt les crapauds buffles revendiquèrent un peu.

« Jamais nous n’obtenons aucune satisfaction »,

était leur leitmotiv.

Sentiments partagés par toutes les pierres qui roulent …

Satisfaction, The Rolling Stones

Après nombre de mois, et bien plus de têtards,

on crut sentir, enfin, les beans et l’apple pie.

Emportées  par la foule,

les premières grenouilles se trouvèrent éjectées

sur le rivage anglais.

Aveuglées de lumière, les pattes engourdies,

elles allèrent s’écraser, sur les rochers,

avant de rouler sur les galets.

C’est ainsi qu’on put lire dans la Gazette des Rainettes,

à la une de l’édition du soir :

« French Frogs Rock and Roll on the beach »

La population Britishbatracienne s’émeut de l’événement.

Alors se multiplièrent les concerts de charité,

auxquels, bien entendu, les grenouilles émigrées étaient conviées.

Coassements électriques, percussions métalliques …

ne tardèrent pas à irriter le genre humain,

dont l’humour tant souligné trouvait là ses limites.

Il ne fut guère de temps, avant que les critiques

ne qualifièrent ce nouveau genre de musique de ‘Frog&Roll’,

puis de ‘Rock&Roll’.