Première participation à l’Agenda Ironique. Le thème en est ‘la langue’ et quatre mots sont à utiliser : chouette, insomniaque, narine, frigoriste.
Étendue sur le quai de son lit, elle attend le train du sommeil, les yeux déjà fermés, prête pour le départ car souvent ce train arrive sans crier gare.
Huit heures de repos ferme, sans étapes, sans arrêt, voilà ce qu’elle désire, voilà ce qui serait une chouette destination. Devenue insomniaque, les nuits blanches se succèdent les unes après les autres, depuis bientôt trop longtemps. Et demain, demain dès l’aube ou presque, elle doit se rendre à l’université pour y passer ses derniers examens de l’année.
Quelle idée de venir faire des études d’anglais à Paris quand on est russe ? Elle aurait pu choisir Cambridge ou Oxford. Mais vu de Moscou, l’appel de Paris est bien plus fort. Et la langue anglaise n’est, somme toute, qu’un prétexte pour fuir tout ce qui pèse trop lourd dans un sac à main quand on a 18 ans.
Neuf mètres carrés sous les toits du Marais, l’adresse est chic. Chic et chère, certes, mais quelle vue ! Perchée sur le tabouret, en se penchant un peu, elle peut voir la place Georges Pompidou et les gros tuyaux colorés de Beaubourg. En juin, ça devient moins chic, quand les toits de zinc emmagasinent la chaleur toute la journée, et continuent de la diffuser pendant la nuit.
Les couinements du matelas dans le studio d’à côté semblent indiquer que son voisin non plus ne dort pas. La chaleur aussi, peut-être ? Pour un frigoriste, ce serait un comble. Cesser de penser, voilà ce qu’il faut faire pour commencer. Le sommeil se love mal dans les fils emmêlés des divagations de l’esprit. Pas de frigo dans sa chambre meublée, dommage, elle rêve de glace, de froid, de prendre un rail de neige dans les narines.
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Vêtue d’un court tutu, chaussée de patins blancs, elle glisse sur la glace avec élégance et légèreté et effectue quelques figures gracieuses au bras de son frigoriste de voisin. Il parle russe aussi finalement. Tous deux font partie de la troupe de Holiday-on-Ice. Dans les gradins, le public les applaudit chaleureusement.
La stridence du réveil torpille son sommeil et perce ses oreilles.
Elle n’a pas assez dormi, tant pis…