Haïku d’Hiver (1)

Il a commencé gris, mouillé, et triste, l’hiver 2023 – 2024. Les Haïku s’en souviennent.

manège en ville

et la pluie soudain mouille

les rires des enfants

je pensais à lui

pas vu depuis si longtemps –

puis la triste nouvelle

premier jour de l’an neuf

la flambée de ce soir réchauffe

autant qu’hier

Epiphanie

Tout d’abord rappeler que le mot ‘épiphanie’ ne signifie pas fève, galette et couronne sur la tête, mais « apparition », et par extention « révélation ».

Et des révélations, j’en ai à vous faire, j’ai quelques vérités à rétablir. A moins que ce ne soit pas des vérités vraiment vraies et que ce soit à cause de Jacques Brel que j’me brèle…

Quoi qu’il en soit, j’espère, ma foi, ne heurter aucune foi.

Il était 20 heures, ce 6 janvier. Tout le monde s’apprêtait à passer à table pour célébrer l’anniversaire de Juda. Cette période de l’année était toujours chargée, le solstice d’hiver, l’anniversaire des jumelles le 25 décembre, puis la fin de l’année, et tutti quanti.

Dix couverts étaient joliment disposés, la vaisselle brillait, et de délicieux fumets s’échappaient de la cuisine. Les jumelles, Christine et Christiane, prirent place, ainsi que leur frère Juda et Joseph le père, puis Papy et Trinité, la grand-mère. Juda avait invité des copains à lui, Baptiste, Mathieu et cet âne de Paul avec qui, cependant, Juda – passionné d’acide rock, aimait bien faire un bœuf de temps en temps. Dans la cuisine, Marie en avait marre de s’activer.

L’ambiance était singulièrement sinistre. Un ‘plop’ indiqua qu’une bouteille de champagne avait été ouverte, et le liquide doré emplissait maintenant les verres. Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne vit pas, Monsieur, on ne vit pas, non … Alors on boit un peu, pour réchauffer l’atmosphère.

En dépit de l’insistance de sa mère, Juda n’avait pas voulu se défaire de sa sacro-sainte tenue gothique noire assortie à ces yeux charbonneux. Ce n’était pas un adolescent facile, non, il donnait du fil à retordre à ses parents.

Soudain, la sonnette retentit. A cette heure, c’était étonnant, on n’attendait plus personne. Trois grands gaillards, éclairés par la lune, se tenaient là, dans l’encadrement de la porte. C’était de lointaines relations de la famille, dont on avait vaguement entendu parler sans jamais les avoir rencontrées. Joseph les invita à entrer et, vu l’heure, leur proposa de rester à diner, ce qu’ils acceptèrent sans ambages. Ils s’y attendaient même, visiblement, puisqu’ils n’étaient pas venus les mains vides. Ils déposèrent leurs présents, myrrhe, encens et or, sur le plan de travail dans la cuisine.

On se poussa un peu pour leur faire de la place, tandis que Marie ajoutait trois couverts. Elle était contrariée car son service de table était prévu pour douze personnes, la treizième assiette serait donc dépareillée. Et puis, treize à table… Gaspard s’installa entre les deux filles, tandis que Balthazar s’asseyait entre Trinité et Joseph, face à Juda, et que Melchior prenait place entre Marie et le Papy. Les bulles du champagne n’y avaient rien fait, l’air était toujours chargé d’électricité et une chape de plomb semblait peser sur la tablée.

On entama le repas, quasi religieusement. En coulant dans la gorge, la bisque de homard faisait des grands ‘slurps’. Oui, ça faisait des grands ‘slurps’. Quelque chose que personne ne maîtrisait était en mouvement. L’incongruité de cette assemblée devait s’expliquer ailleurs que dans le cadre de l’anniversaire d’un adolescent boutonneux. Soudain, Gaspard se leva et prit la parole. « J’ai une révélation à vous faire ». Tout sembla s’immobiliser, y compris la goutte de soupe maintenue en suspension sur le bord de la cuillère.

Alors c’est Melchior qui poursuivît. ‘Christine, Christiane, il est temps que vous sachiez que Joseph n’est pas votre père ». Les jumelles ouvrirent grand les yeux tandis que Marie joignait ses mains en prière. Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne pense pas, Monsieur, on ne pense pas, on prie. Papy devint rouge comme la bisque, tandis que le visage de Trinité tournait blanc comme neige.

Joseph frappa du poing sur la table en s’écriant « Quoi ! Insinuez-vous que mon épouse m’a trompé ? Et que je me saigne les veines pour nourrir des enfants qui ne sont pas de moi ?!! « Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne cause pas, Monsieur, on ne cause pas, on compte.

Alors Balthazar assena le coup final. « Christine et Christiane sont les enfants de Papy qui, en fait, n’est autre que le Saint Esprit. Elles sont nées de la façon la plus pure, par Immaculée Conception. ».  Alors là, tous les visages se figèrent comme la soupe dans la soupière, tous bouche bée comme autant de ronds de serviettes.

Un trop plein d’émotion et le rire de Juda devint hystérique, « Il m’encuquoi conception ?? A-t-on déjà vu des enfants naître de telle façon ? « Alors Balthazar poursuivit et expliqua tout. Tous les projets pour l’Humanité, et les couacs dans les rouages de la machine, qu’on pensait bien huilée pourtant. Il raconta l’idée de la Trinité, le père, le fils et le Saint Esprit. Et l’énorme bug qui suivit. Non seulement de cette Trinité le Fils devint Fille, mais en plus il y en avait deux.

Impossible de résoudre la quadrature du cercle, alors pour que la Trinité devienne réalité, l’une des jumelles devait partir, et quitter le cocon familial. L’enjeu était de taille, la peine valait la peine. Mais c’était difficile. Parce que chez ces gens-là, on ne s’en va pas, Monsieur, on ne s’en va pas …  Christiane avait toujours été plus proche de sa mère, de son père et de Papy, elle fut donc l’élue.

C’est ainsi que, ce soir-là, Christiane vit sa sœur Christine franchir pour la dernière fois le seuil de la maison. Par la fenêtre, elle la vit monter dans un grand traineau rouge, et filer sur la neige …

Jamais plus on n’entendit parler d’elle. Des rumeurs racontent qu’elle a épousé le Père Noël …. D’autres disent qu’elle est partie au Vatican et hante aujourd’hui la fameuse chapelle Christine… Enfin… les rumeurs, Monsieur, vous savez … Les rumeurs …

Mais il est tard, Monsieur, il faut que je rentre chez moi ….