Hermann, le flamand,

(Atelier ‘A la Kipling’)

Fils d’une simple mortelle de Flandre, et du dieu fleuve Okavango, Hermann le flamand était un bel oiseau au plumage d’un blanc immaculé, qui passait son temps entre la Belgique et l’Afrique australe.

Végétarien, il se régalait des beaux et bons nénuphars blancs qui fleurissaient sur le lit de son père. Tous les étés, cachée dans des herbes aquatiques, Phrodia la petite crevette, regardait Hermann avec admiration, le cœur en grandes palpitations. Il était si beau, si grand, si élégant… Lorsqu’il déployait ses ailes, le ciel semblait trop petit pour accueillir dignement cet oiseau de grande envergure.

Tous les hivers, lorsqu’il repartait rejoindre le pays de sa mère, où l’été aussi avait migré, le cœur de Phrodia saignait si fort qu’il débordait dans son corps. Elle était déjà la plus belle des crevettes, elle devint ainsi la plus rose, d’un rose flamboyant. Reverrait-elle Hermann ? Chaque année la question la taraudait.

Un jour, elle rassembla tout son courage et manda un entretien auprès du père du flamand de son cœur. Elle versa ses sentiments dans l’oreille du grand fleuve, et demanda à ne plus jamais être éloignée de son aimé. Le divin père, attendri de tant d’adoration dans une si petite créature, chercha une solution pour accéder à sa requête.

Alors, il proposa à la crevette de la transformer en nénuphar lors de la prochaine visite d’Hermann. Ainsi, son fils la mangerait, et pour toujours elle ferait corps avec lui. Phrodia rosit encore un peu plus de joie et d’enthousiasme.

Quelques mois plus tard, l’eau du fleuve s’enfonça de nouveau dans la terre et s’évapora aussi en brume légère, annonçant le retour de l’été dans cette partie du monde. L’Okavango divin entendit l’air se fendre sous la puissance des ailes de son fils, et se souvint de sa promesse. Phrodia devint nénuphar, le plus beau des nénuphars, d’un rose profond et rayonnant. C’était le seul nénuphar de cette couleur sur toute la longueur du fleuve.

Curieux, Hermann fut aussitôt attiré par cette fleur. Il la respira longuement et en aima l’odeur, délicieux mélange de parfum de crevette et de fragrance suave et sucrée de tendresse. Il la contempla, puis la mangea dans un mouvement délicat. Il fut aussitôt envahi d’une douce chaleur, son cœur battit plus fort et plus vite. Il se sentit pousser de nouvelles ailes et, lorsqu’il observa les siennes, Ô stupeur, elles étaient devenues roses, de la couleur du nénuphar. C’est ainsi qu’Hermann, le flamand blanc, devint HermannPhrodia, le flamand rose…

 

Depuis, les flamands qui viennent se reposer sur les berges du fleuve ne mangent plus de nénuphars, fleurs d’amour, mais aiment à retrouver l’irrésistible odeur et le goût de la crevette rose. Leurs ailes, par conséquent, en prennent la belle couleur. A moins… qu’ils ne rosissent de plaisir…

FLAMAND ROSE

(Texte très librement inspiré du mythe grec d’Hermaphrodite)

Et dormir près des éléphants…

ELEPHANT 1

Il y a des voyages,

Qui espoirent une vie,

Découvrent des paysages,

Aux yeux, comme des caresses,

Et qui nourrissent l’âme

Pour mille ans à venir.

Et dormir près des éléphants…

Il y a des bords de route,

Où l’ombre qui s’étire,

Est celle d’un mastodonte,

Aux oreilles immenses,

Au nez fini en trompe,

Et aux yeux tout petits.

Et dormir près des éléphants…

Il y a des forêts,

Aux luxuriants feuillages,

Pelages en camouflage,

Pour mieux se protéger,

Et où glissent les serpents,

Silencieusement.

Et dormir près des éléphants…

Il y a des maisons rondes,

Qui ressemblent à des cases

Toits, de chaume vêtus,

Ouverts en leur centre,

Pour regarder la lune

Et aussi les étoiles.

Et dormir près des éléphants…

Il y a des nuits longues,

De sommeil en vacances,

A l’écoute de la vie

Des bruits de la nature,

Et des barrissements,

Là derrière le mur…

Et dormir près des éléphants…

Il y a des sourires,

En croissant sur ma bouche,

Tandis que le sommeil

Enfin rejoint ma couche,

Je suis bien, là, je dors

Tout près des éléphants…

ELEPHANT 2

Sinistre compagne.

SHADOW HAND

Je trouble le miroir, complice de la quenouille du temps qui file les rides, comme file le rouge sur les lèvres qui s’affaissent. Pirate des lendemains, j’en déduis les hier, divise l’avenir, additionne les doutes, multiplie les questions…

 

Je plane dans la ruelle, quand l’obscurité pèse, et que le réverbère fait danser les ombres inquiétantes. J’accélère votre pas qui maudit chaque bruit, tandis que le poil se hérisse. Alors, je ruisselle sur l’échine dans une coulée froide.

 

Je tonitrue et résonne dans les salles d’audience, pour verdict en attente. Entre mes doigts, je froisse et triture l’espoir ou les doutes. Je décide des couleurs, noircis ou éclaire les avenirs, excite les esprits. Un pied sur chaque plateau de la balance, je me joue de la Justice.

 

Je suinte, invisible mais palpable, dans le blanc silence d’une chambre, au chevet de l’être aimé. Suspendue aux lèvres du médecin, je retiens votre souffle et insuffle mes miasmes pour mieux me diffuser…. Je tricote nerfs et émotions, et habite les sanglots retenus à grand peine.

SHADOW NET

Je transpire sous le feu des bombes et dans l’air ; dans les gaz qui tuent ; dans le vacarme de la guerre ; dans la nausée qui monte à la bouche ; dans les yeux ébahis en quête de secours. Je n’ai qu’une bataille, je m’oppose à l’espoir dans le bruit des mitrailles.

 

Je flotte derrière les murs, et les portes blindées, dans le calfeutrage à toute humanité coupable de différence. J’établis les distances, je flatte l’ignorance, c’est elle qui m’alimente. Je suis l’âcreté qui transpire, la puanteur du mépris.

 

Tour à tour nœud dans les tripes, béance dans les entrailles, cri étouffé, sursaut, j’étreins, taraude et tenaille. Partout je m’immisce pour noircir les jours et blanchir les nuits. Je sens la honte, la sueur, le sel, et la pisse.

BARBED WIRE

Je suis la Peur, et je me porte bien.