Mois: juin 2018
Paris Bus Ligne 96
C’est peut-être au Chapelier d’Alice qu’il a volé son couvre-chef, un haut de forme, très haut de forme et très large aussi…
À moins que ce ne soit lui, le fameux Chapelier !
Sous le chapeau, le cheveu est long, raide, et noir, la peau a la couleur du soleil, et l’œil est vif. La chemise, aux manches relevées, est d’un orange clair parsemée de petits motifs bleus. Bien que voyante, elle n’est pas criarde. Un jean coupé à la hauteur du genou montre des effilochures, des jambes bronzées et des pieds nus vissés dans des tennis. Il a la quarantaine et de l’allure, le type qui m’a laissé sa place dans le bus. Je me suis d’abord demandé si j’avais à ce point l’air âgé et fatigué pour qu’il me cède ainsi son siège ? Et puis j’ai décidé que non, que dans la tête sous le chapeau il y avait de la galanterie. Il est resté debout près de la porte centrale pendant quatre stations, puis il est descendu.
Un homme sans âge a pris le relai près de la porte. Les mouvements de l’autobus le font chanceler un peu. Il ne se tient nulle part, il a les mains autrement occupées. De sa poche, il sort un portefeuille, l’ouvre, le porte à son nez, le sent, le respire, le respire fort, le referme, et recommence avant de le ranger dans sa poche. Il le ressort, l’ouvre, et cette fois il fait un signe de croix sur le portefeuille ouvert, avant de l’embrasser à plusieurs reprises. Étrange vénération, intrigante manœuvre…
À la station suivante, il descend.
Paris, scènes de bus, scènes de vie, ligne 96, direction Porte des Lilas…
L.H. Blues
Alchimie pour Deux Fois Bruges
Reflets de Ville et Sable d’Or
Parfois la ville embrasse le sable, et leur étreinte teinte ce sable d’or…
Fougère de Sable
La marée a la main verte…
Pas de Géants
Voiles d’Or
Alors, la Flotte Royale déploie ses Voiles d’Or
pour s’en aller cueillir le sommeil du Roi Soleil…
Mémoire
Je voulais vous parler d’un truc, mais je ne me souviens plus quoi.
Attendez, avec un peu de chance ça va me revenir…
La mémoire, voilà, c’est ça l’affaire qui me préoccupe.
Il me semble que ma mémoire est devenue un grand trou noir dans l’espace, un gouffre, un précipice dans lequel mes neurones glissent et se perdent, tandis que mes synapses collapsent.
C’est comme si mes souvenirs étaient partis en vacances, sans moi, en attachant ma chienne de vie avec une chaine, au pied d’un chêne centenaire, sur le bord d’une autoroute. Et depuis, j’erre dans les méandres de ma carte mère…
De nature pipelette, j’ai toujours eu du mal à me retenir de dire, mais à présent ce sont mes textes que je peine à retenir.
Elle a pourtant eu son heure de gloire, ma mémoire, du temps d’après les dinosaures mais d’avant les prompteurs où j’étais souffleur, enfin souffleuse, dans un théâtre amateur.
On jouait « On ne badine pas avec l’amour », de Léonard de Musset… Pardon, Alfred de Musset. J’en connaissais, bien sur, le texte par cœur !
» Le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange « ; Acte II, Scène 4.
Je soufflais bien, je soufflais fort, il paraît qu’on n’entendait que moi, planquée derrière les rideaux.
Mais ça, c’était avant. Avant que ma mémoire ne s’abîme dans des océans d’oubli, et que mes souvenirs ne tombent en ruines. Aujourd’hui je vis en Amnésique… Je fais des rêves mnémotechniques dont mon réveil ne retient rien, et pour gérer mon quotidien, je recours à des mémos postés sur des post-it. Ça aide un peu, mais pas toujours…
Pas plus tard qu’hier, j’étais invitée à un anniversaire, une soirée à thème mais j’avais oublié lequel. Western choc ou Celtic chic ? Incapable de m’en souvenir, je suis partie avec mon kilt et mes colts, pour constater, finalement, que c’était une soirée Bisounours. Alors, évidemment, j’ai eu l’air décalé…
Que faire ?
Ma pensée semble dépenser sans compter mon capital souvenance, le catalogue de mes souvenirs rétrécit à vue d’œil, tandis que le répertoire de mes mots se dilue dans les flots … Mes facultés ne me permettent plus d’analyser les annales, j’oublie tout, ou presque, et pour mémoriser quoi que ce soit, il faut que je me recueille sur mes recueils…
Vous le voyez bien aujourd’hui, je suis attachée à mes pages, ligotée à mes notes, et bien incapable de vous dire un texte sans lire ce qu’ici même j’ai consigné…
Alors, s’il vous plait, pas de rappel parce que de ça, je ne saurais me rappeler…
Cela dit, il me semble me souvenir que je voulais vous parler d’un truc…

Synapse Corridor…
Quai des Géants
Soir d’été à L.H. et la Lune sur les Silos…
Grand Frère, Petit Frère,
Six ans de différence, quand on est vieux, c’est peu, dans l’enfance c’est tout un monde, presqu’une vie.
Moi pas née, toi six ans. Est-ce que tu m’attendais un peu, ou pas du tout ?
Moi six ans, toi douze, mes poupées et chiffons contre tes 400 coups et tes croutes aux genoux. Est-ce que tu m’aimais un peu, ou pas beaucoup ?
Quel bambin tu as été, je n’en sais rien, tu l’étais avant ma naissance. Je sais ta sensibilité, par Maman racontée… Mais pour le reste… rien… trop de différence d’âge, pas de jeux en partage, et un pan d’histoire en moins, comme un trou dans la mémoire.
Tumultes d’adolescence, et vinrent les chamailles, disputes et désaccords, quête de sens à ce charivari ambiant, parcours initiatiques, partages lectures et musique, mes goûts façonnés par les tiens, en adoption ou opposition. Neil Young et ‘A Heart of Gold’, tu aimais ça, j’aimais bien aussi…
Dans la fragilité de cet âge où l’enfant n’est plus, et l’adulte pas encore, j’ai pris conscience de tes ailes. Déployées au-dessus de moi, protection rapprochée, parfois contraignante, mais toujours bienveillante, pudeur rugueuse en surface, de l’amour déguisé.
Adultes devenus, palabres et désaccords encore, nos chemins qui se croisent et se décroisent aussi, fils tendus, parfois lâches, parfois tissés serrés… Face à face dans le luxe de la discorde, cote à cote dans l’urgence, le bon sens, et le retour à la concorde. Nous étions là l’un pour l’autre, quand il le fallait. J’ai connu quelques hôpitaux au chevet de ta santé fragile. Et toi quelques magasins de matériaux au chevet de ma maison toute cassée. À présent, chacun de mes murs porte tes empreintes.
Et puis il y a eu ce dernier hôpital, trop d’épreuves, trop longtemps, opérations à répétition, ton petit cœur a lâché, nos mains se sont lâchées, mon cœur serré, serré. On avait tout vécu ensemble ces dernières semaines, même si tu étais seul à subir les douleurs physiques.
Ça fait un an aujourd’hui, Petit Frère, Grand Frère, une année particulière vu tes dernières volontés. Une année en tourmente, je t’espérais en paix, sans savoir si tu pouvais l’être. Moi j’étais comme en suspens. Et la semaine passée, dernier ‘rendez-vous’, en terre toute inconnue, en territoire perdu, chagrin en bandoulière, et esprit retourné. J’espère que tout est bien pour toi maintenant, et j’espère pouvoir m’apaiser…
Tu es
Dans mon esprit,
Chaque jour,
Dans mon cœur aussi…
Je t’
(P.S. : Je prends soin de ta princesse,
Elle est bien dans ma maison,
C’est un précieux héritage
Merci frangin)
Paris, la Canopée des Halles
Paris, Faubourg du Temple