Sur les quais

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En marchant…

Ce soir-là, il y avait des lueurs étranges. C’était comme si le soleil ne savait pas où se reposer, ici, ou là, ou bien comme si le ciel avait invité plusieurs soleils à la fois…

Les villes de bord de mer ont ces lumières particulières qui vous attrapent l’oeil et vous l’écarquillent, Dunkerque ne fait pas exception à la  règle…

Horloge Finale

1930

Il est deux heures et quart

Et nous sommes deux milliards

Éparpillés dans le monde,

Marchant dans les campagnes

Ou bien dans les fumées,

Issues des ateliers,

Des fabriques, des usines

Qui s’installent en ville.

Dans les galeries,

Ils ont le visage noirci,

De graisse et de suie

Les enfants qui vont au charbon

Et puis le ventre qui piaille

La faim qui les tenaille…

Sur les pavés, les pas

Du laitier, du facteur,

Les roues de la charrette

De la marchande des quat’ saisons,

Et les fers des chevaux…

 

1974

Il est quatre heures et quart

Et nous sommes quatre milliards

Sur les sols minés par les guerres

Et par une production à outrance

Un monde de soubresauts,

Du pétrole en crise,

Des œillets en révolution…

Lucy fait une apparition

L’histoire creuse la terre

En quête de racines,

Tandis qu’ailleurs on cherche

D’autres territoires à explorer,

Des frontières à repousser,

On a déjà marché sur la Lune

Alors …pourquoi pas Mars en juillet ?

La planète se réchauffe,

La pluie s’y fait rare

Bientôt la canicule

Et puis la sècheresse

 

2018

Il est huit heures et quart

Et nous sommes presque huit milliards

À tituber sur la terre,

À s’enivrer d’artifice,

Pour oublier le précipice

Vers lequel on se précipite

Les sols, l’air, l’eau, tout !

Tout est pollué, tout est fichu

On a dézingué mille espèces

De plantes et d’animaux…

Semé la mort à grande vitesse

Mais on persiste à faire semblant

Semblant que tout est éternel,

On a des casques sur les oreilles

La musique à fond les ballons,

On ignore les bruits de la terre,

Les grondements des volcans,

Les saccades des plaques tectoniques,

La fureur des eaux, et les morsures du soleil…

 

2055

Il est dix heures et quart

Et nous sommes dix milliards

À croupir, exsangues

Dans des eaux boueuses

Infestées de vermines,

Et à respirer à grand peine,

Dans des masques de fortune.

L’argent n’y a rien fait, non

Comme c’était à prévoir,

Et partout l’on peut voir

Des coffres qui débordent,

Éventrés par la foule

Et laissés grand ouverts,

De l’argent, pour quoi faire ?

La nourriture ne s’achète plus

Elle se vole, se pille, se prostitue…

Le luxe n’est plus dans ce qui brille

Le luxe, c’est la vie,

Le souffle de vie qui alimente le corps…

 

2084

Il est minuit moins dix,

Et nous ne sommes plus que dix

Dans le noir moite et lugubre

Dans nos lambeaux de chair

Les yeux exorbités,

La bouche fiévreuse

Le ventre en hurlement…

 

Il est minuit moins cinq

Et nous ne sommes plus rien…

 

Le grand chantier

Il y avait eu du laisser aller, un peu de négligence dans l’air, comme un retour de vacances, la tête encore à Buenos Aires ou sur une plage de la Manche…

Il fallait remettre de l’ordre, il y avait du pain sur la planche.

Convocation générale, toute l’équipe dans mon bureau !

D’abord remonter les bretelles des couleurs, et renvoyer Azur, Smalt et Safre au dernier étage, pour qu’ils me mettent du bleu plein les cieux.

Le rose ? En joue !

Le rouge à la bouche et au cœur.

Le jaune dans mon soleil, et le vert dans le printemps déguisé en automne.

On y voyait déjà plus clair…

Puis j’ai convoqué l’Instant, je l’ai goûté pleinement.

Un grand bol d’air, de légèreté, pour une belle et grande respiration en forme d’aspiration à la joie.

Enfin, je me suis longuement entretenue avec la Bande à Bonheurs, les petits, les grands, avec ou sans majuscule mais toujours avec majesté. Je les ai regardés, appréciés, et je les ai pris dans mes bras…

Prête pour une nouvelle rentrée, et pour toutes les vies qui commencent…