Aline a disparu

C’était un atelier d’écriture, c’était une enquête policière, avec pour sujet : le 2 janvier 2020, alors que la pluie battait son plein, Aline, tête rentrée dans la capuche de son manteau, a glissé sur quelque chose, juste à l’angle des rues Jean Jacques Rousseau et Lefèvreville. Elle est tombée, s’est fait mal visiblement, s’est relevée, a repris son chemin en boitillant, et puis… plus personne ne l’a revue. Ni ses parents, ni son employeur, ni ses ami(e)s, ni même son petit ami Léopold. L’inspecteur Belin est chargé de l’affaire, il enquête donc auprès de toute personne susceptible de l’aider, et dans tous les lieus où la jeune fille a été aperçue. En examinant l’endroit où elle a disparu, l’inspecteur découvre l’objet sur lequel Aline a probablement glissé. Il s’agit d’un vieux gant en cuir détrempé et rabougri. Il le ramasse et note que, à l’intérieur, un ruban brodé indique le nom de la propriétaire du gant. Est-ce un début de piste ? Difficile à dire, la propriétaire du gant,  Aliénor de Gavois était la fille d’un riche négociant en vin… du XIXè siècle qui a disparu elle même au même endroit qu’Aline… À vous de mener l’enquête, de trouver une trame, de faire des allers retours sur les deux périodes, ou pas, de trouver la raison de la disparition, ou pas, mais d’essayer en tout cas…

– L’inspecteur Belin m’a interrogée, Aline.

– Je m’en doute, oui, et que lui as-tu dit, Anna ?

– Rien de plus que ce qui était convenu. Que je te connais parce que tu es cliente du magasin. Que le jour de ta disparition, je t’ai vu tomber au coin de la rue, te relever, et repartir en boitillant avant de disparaître. Et que je ne t’ai pas revue depuis ce 2 janvier.

– Il t’a crue ?

– Il me semble, oui, enfin j’espère. Personne ne nous a jamais vues ensemble, toi et moi, en dehors du magasin, toi cliente et moi derrière mon comptoir. Je ne crois pas qu’il puisse suspecter quoi que ce soit.

– J’ai peur, Anna.

– Il est encore temps de tout abandonner, Aline, et de réapparaitre. Le plan B est toujours valable, tu le sais.

– Non Anna, j’ai peur mais je ne renoncerai pas. Tout a été trop compliqué à mettre en place, cela a été trop dur de passer le cap, je ne ferai pas marche arrière maintenant. Parce que c’est ma seule chance. Parce que si j’échoue maintenant, si je flanche, il me faudra vivre ainsi pour le reste de ma vie. Et c’est insupportable, tu n’imagines pas le calvaire que j’ai vécu.

Aline était née avec une anomalie génétique, elle était née sans genre puisque dotée des attributs masculins et féminins.

Ses parents avaient voulu ignorer le problème, balayer sa différence, et avaient tranché en décidant de l’appeler Aline. Pourtant, Dominique, Claude, ou Camille dans leur neutralité, auraient laissé à l’enfant la possibilité de choisir, auraient laissé une porte ouverte vers un avenir à sa mesure.

Non. Ce fut Aline et les robes roses à fleurs et à volants, les poupées, les dinettes, le déni et l’aveuglement.

Ce fut Aline donc, et la pression extérieure. On lui parlait mariage, famille, enfants « quand elle serait grande »…

Alors elle avait imaginé sa disparition, pour une renaissance ailleurs. Elle avait tout orchestré avec la complicité d’Anna. Ce soir, elle partira avec la troupe de cirque qui avait déclenché l’enthousiasme en ville ces deux dernières semaines. Elle s’y était fait des amis, des gens ‘coupables de différences’, comme elle, et qui l’acceptaient avec bienveillance sans trop poser de questions.

Dorénavant, Aline sera un clown au costume ridicule dessiné par elle et fait sur mesure par Anna. Dorénavant elle pourra vivre sa vie et être authentique sous le maquillage, faire rire les autres et finir par rire d’elle même. À partir de ce soir elle sera Camille le Clown.

Les yeux pleins de tendresse et de compassion, Anna souriait en observant Aline absorbée dans ses pensées. Elle semblait dérouler le fil de sa vie encore balbutiante.

Aline leva les yeux vers elle.

– « Je préfère que mes parents pleurent ma disparition, même si cela me rend triste. Ils garderont ainsi de moi un souvenir bienveillant et positif. Ils auront perdu une personne pleine de qualité et destinée à un bel avenir, puisque c’est ainsi qu’ils m’envisageaient. Je vais faire leur malheur, mais un malheur moins grand que celui qui les habiterait si je leur disais où je vais, pourquoi je vais, et le mal qu’ils m’ont fait. Tu vois Anna, de cela ils ne se remettraient pas. Si je disparais, ils vont me garder vivante à leur mémoire, si j’explique, ils finiront par prétendre que je suis morte. »

 

Dans l’épaisseur du mystère, le ciel soudain s’éclaircit…

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